Durant l’année universitaire 2011-2012, Michel Nachez (ethnologue enseignant à l’université) a travaillé pour l’observatoire du numérique afin de consolider les données d’usage des étudiants de l’établissement. Nous avons cherché à affiner les données qualitatives obtenues en 2010-2011 par des entretiens auprès des étudiants en sciences humaines et sociales. Ainsi, huit étudiants en sociologie ont interviewé 16 autres étudiants en SHS (sociologie, ethnologie et démographie) à propos de leurs usages du numérique dans leur vie privée et universitaire. Par ailleurs, 41 étudiants en ethnologie ont pratiqué une auto-observation de leurs usages.
L’enquête révèle que l’équipement des étudiants est généralement varié et se compose le plus fréquemment d’un ordinateur fixe au domicile auquel s’ajoute souvent un petit ordinateur portable (netbook) et/ou un téléphone portable de type « smartphone ». Cet équipement fait partie de la vie quotidienne de l’étudiant qui le garde souvent allumé en permanence et à portée de main.
Chaque appareil prend le pas sur l’autre selon la situation et l’activité dans la journée. L’étudiant passe de son domicile aux salles de cours et chemine par différents lieux du campus et de la ville tout en utilisant (passivement ou activement) l’un de ces objets numériques nomades. Les usages observés passent du registre de la communication (réseaux sociaux, textos…) à celui de l’information (actualités), du travail universitaire (prise de notes en cours, mémoire, recherches bibliographiques, présentations) ou encore de la créativité (photo, retouches, montage vidéo). La multiplicité des usages rendus possibles par ces quelques appareils est l’un des facteurs de leur utilisation intensive tout au long de la journée. Les autres appareils numériques comme les APN, les caméscopes et les enregistreurs se trouvent fréquemment remplacés par le « smartphone ». Les fichiers produits à l’aide de l’appareil nomade sont ensuite transférés sur l’ordinateur fixe ou portable. Ils sont parfois directement mis en ligne depuis l’appareil.
Côté logiciels, on retrouve dans les équipements de l’étudiant la plupart des applications de bureautique classique mais aussi des applications open-source pour le traitement d’images, de vidéos ou la lecture audio-vidéo. De manière remarquable, l’utilisation de jeux vidéo est marginale. Si la messagerie électronique (courriel) est devenue un service incontournable dans le domaine privé et universitaire, elle est supplantée, en volume, par l’utilisation des textos (SMS) émis depuis le téléphone portable et la webconférence (en particulier Skype) ou les réseaux sociaux (en particulier Facebook) quand il s’agit de communiquer des informations très variées.
De manière générale, les outils et services universitaires sont régulièrement utilisés par les étudiants mais uniquement lorsqu’ils ceux-ci sont indispensables. Ainsi, si le courriel @unistra.fr est utilisé pour s’adresser aux enseignants et à l’administration, le reste des échanges passe par les boîtes aux lettres privées ou autres réseaux sociaux. À ce titre, le réseau social Facebook est utilisé aussi bien pour les relations familiales ou amicales que pour échanger des informations du domaine universitaire (emploi du temps, réunions, cours). Certains étudiants d’une même promotion partagent des espaces dédiés sur le réseau social pour y échanger ces informations.
Plusieurs raisons sont évoquées par les étudiants pour expliquer ce phénomène parmi lesquelles on trouve : la simplicité, la convivialité et les mises à jour fréquentes. Une autre raison est le manque de formation. Beaucoup d’étudiants apprennent en effet à se servir des outils numériques seuls ou à l’aide de leur pairs. Le C2i est le seul dispositif institutionnel qui existe pour les sensibiliser aux bonnes pratiques numériques. Enfin, la faible utilisation des services numériques par les enseignants en sciences humaines pourrait être une autre raison pour expliquer l’utilisation de services tiers par les étudiants.
On retrouve dans le contenu de ces entretiens une confirmation des enquêtes précédentes quant à l’équipement mais aussi au mode d’usage des outils et services numériques par les étudiants. Ces usages sont probablement à mettre en parallèle avec la manière de s’informer et d’échanger entre étudiants : celle-ci va de pair avec une nouvelle gestion du temps et de l’espace qui bénéficie des apports indiscutables du numérique. Ces nouveaux usages poussent les étudiants au « détournement » d’outils privés à des fins universitaires d’autant que les outils proposés par l'institution ne correspondent pas nécessairement, à tort ou à raison, à leur « cahier des charges » (une référence changeante) ou qu’ils ne sont pas, à leurs yeux, suffisamment investis par le personnel de leur composante. Si on ne peut définir l’appropriation du numérique par les enseignants à la mesure de la satisfaction des étudiants, leurs usages à l’université n’en sont pas moins en décalage avec les nombreuses possibilités pourtant offertes en termes d’outils et de services pédagogiques. Les freins à de nouveaux usages sont multiples et si certains reposent sur des considérations objectives (comme le temps nécessaire à l’appropriation), d’autres pourraient semblent plus subjectifs (par exemple, les effets sur l’enseignement ressentis comme négatifs).